colloque-resume

Édition  2009 « Minorités, citoyenneté et politique »

Minorités visibles en politique

COLLOQUE INTERNATIONAL

Lieu : École Normale Supérieure, 45 rue d’Ulm, 75005 Paris, salle Dussane

Dates : 11 et 12 décembre 2009

Résumés des communications

(par ordre alphabétique des noms d’intervenants)

Pour consulter les notices biobibliographiques des intervenants, cliquer ici

Lionel ARNAUD
De la nouvelle citoyenneté à une citoyenneté  » urbaine  » :
réinvention ou détournement ?

Issu des deuxième et troisième marches pour les droits civiques de 1984 et 1985, le thème de la nouvelle citoyenneté s’est inscrit à la fois en contrepoint du civisme  » passif  » qui toucherait les citoyens ordinaires, dont la participation se réduit au vote seul, et dans une perspective interculturelle et évolutive, donnant la possibilité d’une négociation collective d’une culture jeune, métissée, autonome et diversifiée. Trente ans plus tard, le desserrement de l’État et les transformations des contraintes et opportunités nées de la construction européenne – et plus largement de la globalisation – semblent donner aux gouvernements urbains la possibilité de mettre concrètement ces revendications en œuvre, en inaugurant de nouvelles formes de gouvernance des intérêts locaux.
À travers l’étude de plusieurs projets menés dans différentes villes européennes, je tenterai de montrer que ce nouveau contexte urbain contribue à redéfinir la citoyenneté comme un ensemble de pratiques (culturelles, symboliques et économiques), et non plus simplement comme un ensemble de droits et devoirs (civils, politiques et sociaux). Mais si ces nouveaux dispositifs participent de la reconnaissance et du développement d' » espaces publics intermédiaires « , force est de constater que l’implication des minorités ethniques n’en reste pas moins largement dépolitisée, et soumise à l’enjeu premier du positionnement économique des villes dans un contexte international compétitif.

Christophe BERTOSSI
Citoyenneté, modèles nationaux et crise d’intégration :
les nouvelles croisades morales en France, en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas.

Longtemps considérés comme le cadre suffisant et nécessaire pour comprendre les objectifs des politiques de la citoyenneté en Europe, les  » modèles nationaux d’intégration  » (i.e. républicanisme français, race relations britanniques, multiculturalisme hollandais) doivent se rendre à l’évidence : ils auraient tous échoué.
La France, caractérisée par son universalisme abstrait, n’a cessé de se cacher derrière un  » voile d’ignorance « , notamment s’agissant des discriminations et de la sous-représentation des populations issues de l’immigration dans les institutions. À cela s’est superposé un  » voile d’illusion  » sur la capacité d’un modèle formel de citoyenneté à produire et renforcer la participation citoyenne malgré des inégalités matérielles. De manière générale, l’échec vient des politiques visant à reconnaître les groupes minoritaires (et leurs besoins spécifiques) pour les engager dans la participation et favoriser l’égalité des chances dans les sociétés se considérant comme  » multiculturelles « .
Or, loin d’illustrer la faillite des  » modèles « , les discours sur la  » crise de l’intégration  » en France, en Grande-Bretagne ou aux Pays-Bas montrent plutôt une utilisation nouvelle de principes affichés comme libéraux (égalité des sexes, sexualité, conceptions de l’espace public) qui conduisent à ne plus considérer la participation et la lutte contre les discriminations comme des priorités, mais à enfermer certaines populations dans un  » défaut d’intégration « , et à leur refuser ainsi leur place dans la citoyenneté.

Ahmed BOUBEKER
Le patrimoine des luttes des héritiers de l’immigration maghrébine.

C’est au début des années 1980 que la France découvre l’existence de la génération des héritiers de l’immigration maghrébine. Longtemps ils sont restés dans l’ombre de leurs parents, mais l’intrusion des jeunes des Minguettes (Vénissieux) sur la scène publique semble marquer la fin d’une exclusion réciproque entre la société française et les cités de banlieue. Sous le feu de la rampe, de  » rodéos  » en grèves de la faim, jusqu’à l’apothéose médiatique de la Marche pour l’Égalité de 1983, la nouvelle génération affirme son droit de cité hors des réserves de l’immigration. Des émeutes urbaines de la banlieue lyonnaise à celles de la région parisienne, du mouvement beur à l’émergence d’un acteur de l’islam de France, des luttes associatives contre les crimes racistes et sécuritaires à celles contre les expulsions et la double peine, la conscience politique d’une génération s’affirme en réitérant son exigence de reconnaissance et sa faim d’égalité.
Mais face au mépris social qui ramène régulièrement aux oubliettes de la mémoire collective le patrimoine des luttes de l’immigration, le mouvement des enfants de la banlieue apparaît confiné dans l’impasse de l’éternel retour à la précarité des origines, comme une histoire de malentendus. Nous proposons de restituer ce récit des oubliés de l’Histoire à partir des événements fondateurs qui ont façonné une génération, sans oublier la chronique des fins de non-recevoir publiques, des dénis de reconnaissance et des formes de discrimination historique inhérentes à l’espace politique français.

James COHEN
Les minorités ethnoraciales en politique en France et aux États-Unis :
comparer deux trajectoires historiques ?

Comparer l’accès des minorités ethnoraciales aux fonctions électives en France et aux États-Unis ne saurait se réduire à une confrontation entre deux  » modèles  » normatifs, dont les termes expliqueraient aisément les résultats obtenus. Une étude historique détaillée s’avère indispensable pour mettre en lumière les logiques à l’œuvre dans les deux cas. Pour formuler des solutions, il faut se méfier de toute logique de transposition d’un champ national à l’autre. Pour comprendre la  » diversification  » du personnel politique aux États-Unis à partir des années 1960, il faut tenir compte des effets directs et indirects du mouvement des droits civiques. Par exemple, la création de circonscriptions électorales conçues pour favoriser l’élection de représentants au Congrès issus des minorités noire et hispanique découle d’une certaine interprétation du Civil Rights Act (1964) et du Voting Rights Act (1965). À l’évidence, on n’a pas affaire à un modèle généralisable au cas français. Pour comprendre le blocage des minorités dans la carrière politique en France, il faut d’abord examiner les pratiques des partis, sans pour autant négliger les évolutions actuelles. Situer dans cette problématique le rôle joué par la référence à un modèle républicain n’est pas chose aisée et nécessiterait un examen approfondi des justifications formulées par les responsables des partis, soit pour empêcher la percée des candidats minoritaires soit, au contraire, pour favoriser leur avancement.

John A. GARCIA
Les Latinos et le système politique américain :
affirmation et identification de leur influence politique et de leur contribution au XXIe siècle.

Durant l’été 2009, l’élection de Sonia Sotomayor à la Cour suprême sera sans aucun doute entourée d’une forte attention, de manœuvres politiques et de prises de parole bien-pensantes. En effet, elle sera la première femme issue de l’immigration latine à entrer dans la plus prestigieuse institution des États-Unis. Cet événement symbolise une profonde mutation ainsi que le renforcement du pouvoir politique de la communauté latine – le plus grand groupe minoritaire aux États-Unis. Le choix qu’a fait le président Barack Obama en nommant la juge Sotomayor est de fait perçu comme un  » juste retour des choses  » envers les Latinos, pour le soutien que ces derniers lui ont apporté au cours de la campagne présidentielle de 2008. En outre, cette décision, qui s’assortit de mesures favorables aux Latinos, pourrait affirmer encore davantage le soutien de la communauté aux Démocrates. Cependant, l’opposition des Républicains à la nomination de Sotomayor est parfois perçue une attaque directe envers la communauté, rendant en outre leurs tendances politiques trop aisément identifiables, et donc moins crédibles. L’utilisation de cette actualité politique illustre un calcul politique où le sentiment de puissance Latino est perçu comme ayant un degré considérable d’influence et attire l’attention des partis politiques dominants ainsi que de leurs dirigeants.
Dans cet exposé, je présenterai l’étendue et la nature du renforcement de l’influence politique des Latinos dans le système politique américain. Les militants, les défenseurs d’un leadership organisé et les universitaires sont en désaccord quant à la pertinence d’un parallèle entre la croissance démographique de la communauté et sa montée en puissance dans le champ du politique. Pourtant, en général, chacun est d’accord pour admettre que si des progrès ont été faits, force est de constater que le développement du pouvoir et de l’influence de ce groupe reste modéré. En effet, leur niveau de participation demeure faible ; leur militantisme et leur réactivité institutionnelle ne sont guère flagrants ; et la représentation politique (des élus et des nommés), en particulier à l’échelle fédérale, est réduite à son strict minimum. Toutefois, au cours de la campagne présidentielle 2008, les médias et les partis politiques ont plus que jamais tenu compte de l’impact des Latinos sur le résultat de l’élection.
Comment mesurer le pouvoir et l’influence des Latinos au XXIe siècle, et sur quels éléments devons-nous nous fonder pour tirer des conclusions sur leur progression en politique ? Il s’agira ici de se concentrer sur les indicateurs les plus évidents de cette montée en puissance du rôle politique des Latinos. Nous évoquerons également les témoignages recueillis dans cette communauté ainsi que dans des institutions politiques américaines. Enfin, à partir de ces données, nous tenterons d’établir des projections sur l’impact à venir des Latinos sur la politique américaine.

Vincent GEISSER
La production républicaine d’une  » minorité musulmane  » :
le paradoxe français (1989-2009).

En France, le rapport des pouvoirs publics et des autorités politiques à la  » question musulmane  » a toujours fait l’objet d’un traitement ambivalent, se traduisant par une injonction paradoxale. D’un côté, il s’agit d’encourager les musulmans à s’intégrer au corps national par le biais d’une élite éclairée, censée montrer la voie et donner l’exemple sur le respect des principes et valeurs républicains. Ce projet universaliste a conduit à promouvoir des individus issus de la  » communauté musulmane « , sélectionnés en fonction de leur capacité à se détacher de leur milieu d’origine et à incarner la supériorité du  » modèle français « , rejetant les particularismes ethniques et religieux dans la sphère privée. D’un autre côté, les institutions françaises n’ont cessé de jouer sur le registre ethnico-religieux, comme si en pratique l’invisibilité communautaire des musulmans n’était pas véritablement souhaitée. Une telle tentation a favorisé l' » invention républicaine  » d’une communauté musulmane avec ses représentants, ses leaders, ses porte-parole, ses médiateurs, mais aussi ses figures repoussoirs. Dans les faits, la politique française a oscillé en permanence entre ces deux tentations, dont les effets se font encore ressentir aujourd’hui. À l’horizon des années 2000, la politique dite  » de diversité  » reflète en grande partie ce paradoxe français qui finit par devenir la marque d’une véritable schizophrénie républicaine, où la promotion d’une  » diversité universaliste  » côtoie désormais celle d’une  » diversité lobbyiste « , incitant indirectement à la structuration communautaire de l’expression politique musulmane.

Adam GREEN
Les politiques raciales aux États-Unis :
la race, la colère et la politique américaine.

Les élections présidentielles américaines de 2008 furent immédiatement suivies de proclamations célébrant l' » unité nationale « , d’après lesquelles l’élection d’Obama avait réussi à réconcilier les races sur le sol américain.
C’est cette idée que je discuterai, à la lumière de l’animosité et de la colère qui animent depuis fort longtemps les minorités raciales non seulement socialement, mais aussi dans les institutions politiques américaines. J’examinerai l’importance de la question raciale (liée aux  » Blancs « , aux  » Noirs « , etc.) et son rôle dans le  » sentiment politique  » des individus, et analyserai comment les formes d’expression institutionnelles (au sein des partis politiques, dans l’élaboration de lois, etc.) ont, de manière récurrente, été des obstacles à l’esprit d’unité dont se vante la nation.
Avant tout, je donnerai un cadre pour aborder le discours des commentateurs actuels – voire, parfois, du président Obama lui-même – selon lequel cette élection ouvre une voie royale au dépassement des fractures causées par les différences sociales dans la politique et la société civile américaines. Ce qui permettra d’engager le débat sur la manière de comprendre plus finement le pourquoi de ces assertions, au regard des histoires de division sur la base desquelles se sont bâties le plus grand nombre des conventions et institutions politiques centrales des États-Unis. Il s’agira donc de prendre en compte les deux aspects des politiques raciales américaines : celui du  » récit  » politique et populaire autour de l' » unité nationale  » et celui, plus complexe, de la réalité historique qui se cache derrière.

Nacira GUENIF-SOUILAMAS
Politiques invisibles des minorités :
dits et non-dits sur le genre, l’ethnicité et la race en France.

La mythologie française du républicanisme universaliste abstrait a longtemps contribué à occulter l’imaginaire identitaire unificateur aux accents raciaux de l’État-nation français et sa traduction dans un ensemble unifié et centralisé de pratiques et de représentations.
Durant les dernières décennies du XXe siècle, la France a traversé des dynamiques de transformations qui, par leur conjonction temporelle et spatiale et la puissance de leurs effets, ont durablement mis à nu les ressorts identitaires et inégalitaires qui conditionnaient et minaient la viabilité de la francité, considérée ici comme un processus de civilisation. La conjonction de la fin de l’Empire colonial, du démantèlement de la société industrielle nationale, de l’inclusion de cet État-nation dans un ensemble européen plus vaste, et de l’accélération des modes de différentiation et d’individuation a conféré une visibilité et une intensité accrues à l’installation durable dans le paysage français de populations migrantes venues des anciennes colonies, alimentant des configurations minoritaires. L’empreinte composite et dispersée de ces configurations révèle par contraste des politiques, jusqu’à présent invisibles, de gestion de groupes ayant vocation à être minorisés parce qu’ils seraient  » porteurs  » d’un ou plusieurs traits, race, genre, ethnicité, selon des combinaisons variables. Ainsi, les Arabes, les Noirs, les femmes  » à émanciper « , les musulmans, les  » migrants  » avec ou sans les bons papiers, ou encore les  » homosexuels  » inscrits dans des groupes racialisés ou stigmatisés constituent autant d’entités qui, dès lors qu’elles sont estampillées et extraites du cercle égalitaire des citoyens français, se voient refuser tout ou partie des droits auxquels elles seraient susceptibles de prétendre, si elles en connaissaient l’existence. À la lumière de cette biopolitique de minoration, la seule potentialité d’un tel traitement – exact envers de la politique, prétendument vertueuse, de la diversité – révèle la conformation et le contrôle des corps, ainsi que ses multiples voies de réalisation. Elle s’exerce non pas pour les inclure au sein du cercle des égaux, prouvant ainsi la réalisation de l’égalité formelle enfin devenue réelle, mais à des fins de contention, de triage et d’éjection. Elle contribue à l’érection de la ligne de couleur dans la France postcoloniale, selon un double mécanisme racial et genré, entre ceux présentant une identité délavée, transparente – aptes donc à se fondre dans une diversité molle et édulcorée -, et les plus visibles, rugueux, présentant des aspérités, qui en renouvelant la problématique foucaldienne de la difformité et de l’inadaptation, sont voués à subir un traitement radical d’équarrissage et de domestication. La discussion de cet argument tentera de décrire ce paysage travaillé par une tectonique de la ségrégation inédite et les pratiques de résistance, évitement, contournement que lui opposent des individus collectifs situés.

Kerry L. HAYNIE
Désormais visibles, mais toujours dans l’ombre :
les femmes afro-américaines dans la politique américaine.

Une des évolutions les plus frappantes de ces trente dernières années est le nombre toujours en hausse de femmes afro-américaines qui entrent en politique. Cette augmentation est visible à deux niveaux : 1) l’influence et le pouvoir croissants qu’exercent ces femmes en tant qu’électrices ; 2) leur présence de plus en plus forte à des postes d’élues. En dépit de cette évolution, le parcours de ces femmes a fait l’objet d’une attention assez restreinte de la part des médias et des chercheurs. Par exemple, pendant la campagne présidentielle 2008, la candidature de Barack Obama et d’Hillary Clinton a focalisé tous les esprits sur les Noirs et les femmes en politique, mais pas sur les femmes noires.
Je tenterai, au cours de cette communication, de montrer que l’idée – largement répandue – selon laquelle les femmes noires ont une conception de la politique identique aux autres femmes ou aux autres Afro-américains est erronée, et ne fait que masquer l’importance cruciale du rôle des femmes noires sur la scène politique américaine.

Éric KESLASSY
De la place des minorités visibles dans la politique française.

Quelle est la place des minorités visibles dans le champ politique en France ? Telle est la question centrale qui sera abordée dans cette communication. Après un rapide – mais nécessaire – constat sur la sous-représentation des minorités visibles à l’échelon national, il s’agira surtout de comprendre les raisons du  » blocage  » : comment expliquer que la diversité de la population française soit si peu représentée sur les bancs de notre Parlement ? Quatre points méritent d’être discutés : a) la spécificité du monde politique qui est ultra concurrentiel et extrêmement conservateur ; b) la responsabilité des partis politiques, notamment en ce qui concerne le mode de désignation des candidats ; c) la capacité des électeurs français à envisager que des membres des minorités occupent de hauts postes politiques ; d) la responsabilité des minorités visibles qui ne s’engagent pas suffisamment en politique. La dernière partie de cette intervention consistera à analyser les solutions disponibles (et compatibles avec le modèle républicain français) pour tenter de favoriser une meilleure représentation politique des minorités visibles à l’Assemblée nationale et au Sénat : comment faut-il changer la façon de sélectionner les candidats ? Est-il possible de  » contraindre  » les partis politiques à donner davantage de place à la diversité lors des échéances électorales nationales ?

Éric MARLIERE
Minorités et  » jeunes de cité  » :
de la résistance à la conquête du pouvoir local.

Les  » jeunes de cité « ,  » de banlieue  » et pour certains  » issus de l’immigration  » ne sont plus, dans l’immédiat, porteurs de projets susceptibles de créer une proposition politique vis-à-vis des canaux traditionnels des formations politiques classiques. Pourtant nous avons constaté, lors des dernières élections municipales, des listes de jeunes dits  » des quartiers  » ne se contentant plus d’apparaître sur les affiches des  » grands partis  » plus ou moins autonomes. Le pionnier en la matière a été le groupe Zebda ( » beur  » en arabe), qui a proposé une liste citoyenne à Toulouse en 2002, les  » Motivé-e-s « , dont le score électoral fut honorable. En 2008, de nombreuses de listes locales comprenaient des  » jeunes des cités  » qui se présentaient souvent contre la majorité mais également contre l’opposition, afin de porter la parole des jeunes, des parents, des habitants des quartiers populaires – en bref, des oubliés des enjeux électoraux.

Marco MARTINIELLO
Les enjeux de la représentation politique des minorités ethniques et immigrées en Europe :
peut-on tirer des leçons de l’expérience américaine ?

Les configurations de la diversité ethnique, raciale, culturelle, religieuse et immigrée en Europe et aux États-Unis sont très différentes. Il en va de même des systèmes politiques et de l’histoire migratoire. Cela dit, des deux côtés de l’Atlantique, la place des minorités dans les structures du pouvoir, dans la vie et dans les institutions politiques est sans conteste un enjeu important de la reconstruction démocratique dans des sociétés marquées par un processus de  » diversification de la diversité « . À cet égard, l’élection de Barack Obama a sans conteste donné un souffle neuf à la réflexion sur la participation et la représentation politiques des minorités, non seulement aux États-Unis, mais aussi dans de nombreuses villes et pays européens qui attirent beaucoup d’immigrés.
Cette communication sera divisée en quatre parties. D’abord, nous exposerons une réflexion théorique sur la représentation politique dans les démocraties multiethniques et multiraciales. Puis nous établirons un panorama de la représentation des minorités ethniques et immigrées en Europe. Dans la troisième partie, nous examinerons le cas atypique de la capitale européenne, Bruxelles, où l’on peut observer parfois une surreprésentation des minorités dans les assemblées élues. Enfin, nous tenterons d’analyser dans quelle mesure un  » effet Obama  » s’est produit en Europe, et quelles en sont les conséquences possibles sur l’intégration des populations d’origine immigrée en politique.

Rahsaan MAXWELL
Des évolutions positivement diverses:
grandes tendances chez les immigrants non blancs dans la vie politique britannique depuis 1945.

Dans cette communication, j’examinerai les récents changements qui ont eu lieu en Grande-Bretagne parmi les populations issues de l’immigration. Ces dernières sont souvent perçues comme étant désavantagées par leur situation socio-économique inférieure à la moyenne. De plus, l’accès réduit qu’elles ont aux réseaux plus favorisés devraient théoriquement minimiser leurs possibilités de devenir des candidats politiques de haut niveau. Et pourtant, je constate ce curieux paradoxe qui consiste en ce que certains des politiciens d’origine immigrée, les plus haut placés ou prétendant à de hautes fonctions, viennent de milieux humbles et ouvriers. J’étudierai donc les parcours de ces personnes en analysant ce en quoi leurs origines ont influé sur leur succès politique.

Don T. NAKANISHI
L’impact croissant des Asiatiques américains du Pacifique
sur la politique américaine.

Les Asiatiques américains, qui sont à l’heure actuelle 16 millions, sont devenus des acteurs de plus en plus cruciaux et visibles sur la scène politique américaine. Membres du cabinet présidentiel, élus, grands donateurs ou électeurs, leur rôle dans la politique intérieure du pays est de plus en plus prédominant. Cependant, il reste bien des défis à relever avant que les Asiatiques américains ne se rendent pleinement compte de ce qu’ils peuvent apporter à la politique internationale et intérieure américaine.

Georges SIDERIS
Les gays en politique :
une minorité de la marge à l’intégration.

À l’époque du mouvement radical d’émancipation homosexuelle en France, dans les années 1970, la lutte pour les droits des homosexuels était vécue par les militants comme fondamentalement politique, parce que remettant en question le système familial patriarcal classique, les homosexuels appartenant à une minorité marginalisée et stigmatisée. De fait, un homosexuel voulant mener une carrière politique se devait de rester discret sur sa sexualité.
Le coming-out de Bertrand Delanoë en novembre 1998, en plein débat sur le PACS, a agi à la fois comme le révélateur de la mutation de la société française (il est élu maire de Paris en mars 2001) et comme une manière d’entériner l’évolution des partis de gauche. Dans les années 2000, des hommes politiques de droite déclarent eux aussi leur homosexualité et dernièrement, le 23 janvier 2009, Roger Karoutchi, secrétaire d’État aux Relations avec le Parlement, a rendu publique son homosexualité, alors qu’il était engagé dans la primaire pour l’investiture UMP aux élections régionales en Île-de-France.
La question de la place des homosexuels dans la vie politique et de leur rapport à la République est alors posée publiquement, en termes de minorité et de communauté d’appartenance, voire de communautarisme, amenant à reconsidérer l’évolution des rapports entre public et privé dans la vie politique, dans une société française où le fait d’être homosexuel est accepté par la très grande majorité de la population, et où taire son homosexualité pourrait même devenir un obstacle.

Abdulkader SINNO
Opportunités et risques dans la représentation des élus musulmans occidentaux.

Dans mon intervention, je parlerai de mes récentes recherches sur la représentation d’élus et de nommés politiques musulmans en Occident. J’évoquerai notamment ce en quoi l’élection de candidats issus des minorités, avec une origine musulmane, aide à la résolution de conflits et à leur anticipation, à la préservation des droits civiques, à une meilleure sécurité et à la consolidation des démocraties libérales occidentales.

Vincent TIBERJ
Ce que la gauche veut dire ?
Processus d’intégration et explications des alignements politiques des  » nouveaux Français « .

Contrairement au sens commun, qui assimile les Français d’origine maghrébine et africaine à un bloc électoral  » à saisir « , nombre d’études démontrent leur ancrage stable et massif à gauche. Cet ancrage est d’autant plus remarquable qu’il résiste aux déterminants et modèles traditionnels des préférences politiques, et ce malgré une diversification sociale de plus en plus marquée parmi les  » nouveaux Français « .
Nous montrerons que derrière ce quasi-consensus politique, c’est en fait la capacité de la France à permettre l’intégration qui se dessine, et donc ses résistances et son inefficacité à lutter contre les discriminations raciales. En cela, notre analyse démontre combien les  » nouveaux Français  » se retrouvent dans une situation comparable à celle des Afro-américains et des Latinos aux États-Unis. L’alignement politique des nouveaux Français est donc bien révélatrice d’une société qui peine à se penser plurielle et multiculturelle.

Jérôme VALLUY
Des politiques xénophobes au nationalisme d’État.

Le nationalisme d’État qui s’affiche officiellement en France avec la création, en 2007, du nouveau ministère de l’Identité nationale et de l’Immigration est-il le simple reflet d’une stratégie électorale permettant au candidat de droite d’être élu en absorbant la concurrence d’extrême droite ? Deux observations permettent d’en douter : d’une part, le phénomène n’est pas spécifique à la France et s’observe dans la plupart des autres pays européens également marqués par le tournant national-sécuritaire ; d’autre part, cette création prolonge plusieurs décennies de politiques antimigratoires en gestation dès les années 1960. Au cours de cette histoire, se forme une xénophobie qui s’exprime par les actes et discours d’autorités publiques désignant l’étranger comme un problème, un risque ou une menace et activant ainsi d’autres formes de xénophobie plus intellectuelles ou plus populaires. Le phénomène puise ses racines dans l’histoire du fait colonial et de la relation à l’indigène, des effets politiques de la décolonisation sur les métropoles, de la genèse des politiques antimigratoires et des recompositions du champ politique. Ces politiques de mise à l’écart et de rejet des étrangers transforment les cultures européennes si profondément que le retour au sommet de l’État des formes de nationalisme et de xénophobie, observées à la fin du XIXe siècle et dans l’entre-deux-guerres, ne rencontre aujourd’hui que des oppositions marginales.

Print This Page Envoyez à un ami